La seconde by Colette

La seconde by Colette

Author:Colette
Format: epub


– Oui, oui... Ah ! les chameaux !... Admirables, d’ailleurs... Ils seront admirables... Surtout...

– Surtout qui ? demanda Clara avide.

Il lui jeta un coup d’œil de méfiance professionnelle.

– La plupart seront admirables.

– Qu’ils sont heureux ! risqua l’écolière blonde. Trois lignes dans une pièce de vous, maître, c’est un grand rôle.

Il lui rit malignement au nez, pour lui montrer qu’il n’était point dupe. Fanny connaissait ce sourire un peu nègre, cette grimace de plein air à nez froncé et dents découvertes dont Farou abusait sur ses photographies et dans les tête-à-tête intéressés.

– Trois lignes ? Vous les voulez ?

Comme prise de vertige, la jeune femme appelée Inès s’accrocha à la main de Clara, et retint son souffle.

– Trois lignes... et un zéro à côté du trois ? Le petit rôle de la dactylo ?... Hein ? Hein ?... Qu’est-ce que c’est que cette horreur, Jane ?

Il repoussa le verre que la main de Jane lui tendait.

– Encore votre truc d’œufs crus ? Repassez ça à un tuberculeux, ma chère. Un peu de porto, s’il vous plaît.

Il but et changea de ton.

– Mademoiselle... Inès, vous voudrez bien vous souvenir que la répétition est à une heure précise, dit-il froidement. Favier a le rôle, il vous le remettra. Mlle Biset l’a rendu cet après-midi.

– Rendu ? répéta avec éclat Clara Cellerier. Mon cher ami, dans quel temps vivons-nous ? Rendu ? Biset, rendu un rôle ?

– Oui. Enfin, je l’ai fichue en l’air, si vous aimez mieux.

Clara se redressa militairement.

– Ça oui, j’aime mieux !... Pour l’honneur de l’art théâtral, j’aime mieux !... La générale sera reculée, Farou ? Non ? Vous passerez au jour dit ? C’est admirable ! Venez, petite. Que vous la rendez heureuse, mon cher maître !

Elle entraîna la jeune femme blonde, qui soigna sa sortie, trébucha un peu, balbutia, et fit l’enfant sur le seuil de la porte ouverte, en battant des mains.

– Pas mal, pas mal, estima Farou en arrachant sa cravate et son col. Elle a le manque de naturel qu’il faut pour le rôle.

– Il y a aussi la fille de la concierge, insinua Jane du fond du salon.

Fanny la chercha de l’œil avec stupeur. Elle la vit pâle, les yeux assombris et brillants.

– Vous, répondit Farou tranquillement, allez donc dire à la femme de chambre qu’elle me verse un bain, et qu’elle me prépare une chemise et des chaussures. Et bornez à ces soins vos compétences théâtrales !

Jane disparut sans un mot, mais ferma la porte avec bruit.

– Comme tu lui parles !... dit Fanny, gênée...

– Ne t’en occupe pas, Fanny-ma-Fanoche !

Il gisait, le cou nu, au creux du divan, et ferma les yeux. Il était fourbu et sûr de lui, et victorieux dans son repos.

– Tu repars ? demanda Fanny à mi-voix.

– Bien sûr, je repars.

– Tu dînes ?

– Non. Je serais trop fatigué si je dînais, je tomberais de sommeil... Je mangerai quelque chose là-bas.

– Tu es content ?

– Assez.

Il se borna à ce mot bref et elle n’insista pas. Qu’eût-elle



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